Here is the article from "L'illustré" in 2006 that
reut asked for on Photo and Article thread.¨
Illustré 22.02.2006
"Cet argent vaut de l'or"De nos envoyés spéciaux à Turin: Laurent Favre (texte) et Sedrik Nemeth (photos)
Stéphane Lambiel a une médaille d’argent autour du cou. Il est sur le podium des Jeux olympiques de Turin, le Russe Evgueni Plushenko à sa gauche. Au terme de la semaine la plus éprouvante de sa carrière, il encaisse les émotions les plus violentes de sa jeune existence. Incapable de tricher avec ses sentiments, il laisse tout sortir et fond en larmes. Le deuxième pleurant de joie aux côtés d’un vainqueur impassible, c’est l’une des images fortes des Jeux. Dans sa tête, les souvenirs s’entrechoquent alors.
Stéphane Lambiel a peur. Quelques heures avant le libre, il téléphone à sa mère, Fernande. «Il voulait me voir. Nous nous sommes retrouvés au Lingotto, l’ancienne usine Fiat transformée en centre commercial. J’attendais qu’il me rassure, qu’il me dise: «T’inquiète pas maman», mais il était tendu, tendu, tendu… Il a pleuré, alors je lui ai dit: «Stéphane, tu patines pour toi, tu n’as rien à prouver à personne et, quoi qu’il advienne, sache que je t’aime. Je t’aime. Je t’aime.» Il m’a souri. Il avait besoin d’entendre ça.»
Stéphane Lambiel a mal. Mercredi matin, veille du programme libre, il chute lourdement sur son genou. Quinze jours plus tôt, une chute semblable a failli le priver des Jeux. Il serre les dents, Majda Scharl serre le bandage qui enserre son articulation meurtrie. Il annule le repas prévu avec Jean Nobs, son «deuxième père». Peter Grütter, son entraîneur, déjeune avec Remo Sargenti, le président du fan-club. «Il faudrait un miracle…» lui glisse-t-il, fataliste, devant tant d’événements contraires.
Stéphane Lambiel a compris. Lyon, dimanche 22 janvier 2006, Championnats d’Europe. Evgueni Plushenko est plus fort que lui. Il a confirmé son titre mondial de Moscou, s’est imposé dans la tête des juges comme une valeur sûre, mais sait qu’il n’a aucune chance à Turin s’il ne modifie pas son programme court. Le temps presse, Peter Grütter le laisse décider. «Stéphane a toujours su ce qui était bon pour lui. Il assimile tout très vite. Sa mère raconte qu’à 3 ans il savait faire marcher le lave-linge.»
Stéphane Lambiel n’a pas une minute. A Flims (GR), au mois d’août 2005, Majda Scharl détaille déjà un planning de conseiller fédéral. «Turin en septembre pour des repérages, puis New York, Pékin, Saint-Pétersbourg, Biasca, Osaka, Villars, Lyon, Turin…» Un programme de renforcement des fibres musculaires et des tendons est lancé pour permettre au corps de supporter ces nouvelles charges phénoménales de travail et de stress. «Sans cela, il ne se serait pas remis de sa blessure au genou», constate Majda Scharl.
Stéphane Lambiel a 20 ans. Il fête son anniversaire le 2 avril 2005 chez sa grand-mère maternelle, à Santo Antonio da Charneca, près de Lisbonne. La grand-mère est aux petits soins, tout comme sa mère, sa tante Emilie, sa sœur Silvia. C’est sans doute trop, mais pour lui, c’est juste assez. Son besoin d’affection est sans limites. Sa soif d’amour est son moteur. L’argent? Vendredi, c’est nous qui lui avons appris, vers 3 h 30 du matin sur un trottoir de Turin, que sa médaille lui vaudrait une prime de 18 000 francs. «Vous plaisantez?»
Stéphane Lambiel a un rang. Il est champion du monde depuis le 17 mars 2005 à Moscou. Plushenko était diminué, et lui au sommet de son art. «Tout était si parfait que le titre est presque allé de soi, se souvient Grütter. La médaille de Turin est un plus bel exploit, son mérite plus grand, car tout a été plus difficile.» A Moscou, il n’avait d’ailleurs craqué que bien après, avec ses proches, dans un salon de l’hôtel Ukrainia. Cette fois, même la commentatrice (allemande) de la DRS a pleuré à l’antenne.
Stéphane Lambiel a un clan. Les autres patineurs ont des supporters, lui a des amis, des copains, des parents, des gens qui ne viennent pas applaudir le compatriote, mais encourager l’enfant du village. Ils sont une centaine, tous fiers membres du fan-club tenu par l’oncle Nicolas et l’ami Remo Sargenti. Il peut nommer chacun par son prénom. «Merci d’avoir cru en moi, leur a-t-il lancé à la Maison suisse de Turin. J’ai senti votre énergie positive. Ce fut dur, terrible, mais cette médaille vaut de l’or.»
Stéphane Lambiel a un don, une grâce. Il irradie. Le public de Lausanne le découvre en 2002, lors des Championnats d’Europe. Quatrième, et qualifié pour les Jeux de Salt Lake City, mais surtout inimitable. Une aura époustouflante, des pirouettes à vous donner le frisson. «Enfant, il pouvait y avoir trente patineurs sur la glace, on ne voyait que lui», raconte Peter Grütter. Même Plushenko ne parvient pas à donner autant d’intensité à ses programmes. «Continue comme cela», lui a conseillé le Russe sur le podium.
Stéphane Lambiel a un entraîneur. A 9 ans, il s’est lui-même choisi Peter Grütter, imposant 1200 kilomètres de voiture par semaine à sa famille. «Parce que j’entraînais alors une jeune patineuse très douée techniquement.» La petite a pris ombrage de cet astre gobeur de lumière. Fin psychologue, Grütter a su le guider sans le brider. A 12 ans, il voulut se mettre au hockey sur glace. «Stéphane, lui demanda Grütter, tu veux vraiment être à six sur la glace?» C’en fut fini du hockey.
Stéphane Lambiel a un rêve. Il a 8 ans et un rêve dans le cœur. «Il voulait participer aux Jeux olympiques, se souvient sa maman. Il ne parlait pas des Championnats du monde, pensait peut-être à une médaille, mais n’en parlait pas. Tout ce qu’il voulait, c’était participer aux Jeux de 2006. Il avait calculé qu’en 2006 il aurait 21 ans. Cela devait lui sembler être le bon âge.» Treize ans plus tard, le fils de Fernande et de Jacques a reçu le plus beau cadeau que l’on puisse recevoir de l’existence: il a réalisé son rêve d’enfant.